« Le monde d’avant, ce n’était quand même pas si mal ! »

Certes, mais de quel monded’avant parlons-nous ? Celui des voyages qui nous permirent de découvrir notre planète, celui de l’insouciance et des loisirs en tout genre, ou bien celui des libertés progressivement perdues, de l’essoufflement des démocraties, de la réapparition des totalitarismes ? Et avons-nous l’assurance que le monde d’après ne nous paraitra pas à son tour, lors de la prochaine crise, comme un monde avec lequel il faut tourner la page ?

Prévenir n’est pas prédire, pas plus avec le devenir de la société dans laquelle nous vivons, qu’avec les familles ou les couples !

La crise, synonyme de mise en tension relationnelle au sein du couple ou de la famille est aussi une crise du sujet ! Ce qui fait crise, c’est, entre autres, l’opposition entre les besoins existentiels de l’individu et les besoins supposés du ou des groupes auxquels il appartient.

Méconnaissance, loyauté, culpabilité, honte sont quelques-uns des ingrédients de ce moment où s’invite la peur d’une catastrophe, d’un effondrement individuel ou groupal.

À cet instant précis qui rend l’émergence possible d’une demande, les professionnels de la prise en soin que nous sommes, sauront-ils devenir des « passeurs de crise » ?

Au travers de son parcours, l’oratrice se propose de partager ce qui l’a fait passer par plusieurs états, parfois critiques, pour cheminer avec plus de sens et de confort dans l’aide aux humains victimes d’événements calamiteux occasionnant tantôt des crises salutaires tantôt des crises délétères. Au départ d’une posture de psychologue clinicienne, individuelle et neutre, elle a dû confronter son cadre et les réflexes acquis aux réalités des vécus individuels et collectifs. Ceci dans des contextes institutionnels, cadres muets au quotidien, dont les manques sont tout à coup révélés de façon criante dans la crise.

Delphine Pennewaert évoquera quelques pistes pour contribuer à penser la prévention en santé mentale en contexte de crise, différencier urgence et crise pour ne pas « la gâcher ».

Comme pour soutenir un horizon d’espoir, Bruno Latour en parlant de la crise que nous traversons, a dit que « tout n’est pas foutu, mais qu’il ne faut pas gâcher la crise ». C’est une formule que l’on pourrait avoir en tête lorsque nous rencontrons des familles en crise. L’idée même que l’on pourrait gâcher une crise suggère qu’elle n’est pas en soi la garantie du changement. Un changement envisagé ici comme une adaptation résolutive d’un état antérieur caduc.

La crise ne dit pas le nouveau, elle dit l’impossible de l’ancien. Elle annonce l’inédit nécessaire qui reste à advenir. Aussi, pour tirer parti de l’événement et de la survenue de ce qu’il augure, il s’agit de comprendre ce qui ne peut persister. Mais reconnaître les tensions et les empêchements qui ont conduit à la rupture d’équilibre ne suffit pas à créer les conditions du changement. Au bout du compte, seule la mobilisation de ressources opportunes est la clé de la métamorphose.

L’art de l’accompagnement en situation de crise repose sur la capacité à identifier les ressources propices au changement, mais surtout, à mobiliser le système dans la mise en oeuvre de celles-ci. Le champ de la protection de l’enfant confronte intervenants et thérapeutes à des univers en crise où cette capacité de mobilisation est primordiale.

À l’aide d’exemples, l’orateur montrera en quoi l’anthropologie clinique, par l’invention et l’accès à des concepts et des outils, ouvre les thérapies familiales systémiques à l’opportunité de création de dispositifs intégratifs, aptes à rencontrer et mobiliser des systèmes familiaux multiples et aliénés par l’injustice et la souffrance qui circulent dans la succession des générations.

Les missions de l’équipe mobile d’urgence et de crise ERIC sont de proposer une réponse téléphonique à l’urgence psychiatrique, améliorer l’accès au soin et proposer une alternative de qualité à l’hospitalisation en mobilisant les ressources du patient et de son entourage, et plus généralement celles de son réseau. Les entretiens en binôme, souvent en situation de déplacement, réunissent 5 à 10 personnes.

La crise COVID au premier confinement a saisi l’équipe dans un dilemme : comment poursuivre l’alternative à l’hospitalisation alors que les protections sont des denrées rares, les risques sont incertains et que la distanciation sociale est érigée comme norme ? À cette occasion, ils ont expérimenté un nouvel outil : la vidéo-consultation de crise. Elle leur a permis de poursuivre le travail dans un monde cloisonné, soutenir l’appartenance familiale, initier ou poursuivre la construction d’une alliance dans les soins. « L’aller vers » est devenu temporairement « une fenêtre sur » ; d’outil exclusif, elle est devenue outil intégré au dispositif.

L’objet du propos sera de raconter, au travers de vignettes cliniques, l’appropriation progressive de l’outil, son intérêt et ses limites.

En décembre 2019, lors du congrès organisé par Parole d’Enfants sur le thème « Couples, familles, institutions, société : des lieux d’enfermement, des espaces de liberté », les oratrices avaient abordé la question de la construction de l’emprise dans le couple et de l’impact de ces violences conjugales sur les enfants. Cette année, elles se proposent d’aborder la question du devenir de ces enfants victimes une fois adolescent·e·s ou jeunes adultes. L’accès à l’autonomie fait crise. Elles réfléchiront aux raisons pour lesquelles le jeune se dit que « ça ne peut plus continuer comme ça ! ». Elles illustreront comment soutenir le processus d’émancipation, notamment en validant le vécu traumatique et en offrant soutien et protection. La présentation sera illustrée par des vignettes cliniques où elles donneront la parole aux jeunes qui s’en sont sortis.

Couple, Covid et Crise sanitaire : tout un trio. Inusité, potentiellement explosif, mais pas forcément non plus. Certains couples ont vécu cette période comme une nouvelle lune de miel. Pour d’autres, il a été le catalyseur d’une crise souvent latente. Mais la séparation n’est pas la seule issue, il y a aussi des solutions : un suivi en thérapie de couple pour sortir des crises. La crise du couple est à considérer comme une expérience émotionnelle pouvant permettre un remaniement des places, des besoins et des attentes de chacun.

L’histoire du couple parental et conjugal est complexe, chaque conjoint arrive dans le couple avec les expériences de son enfance.

Comment aider les membres du couple à améliorer ses capacités à créer et maintenir un attachement sécurisant ?

Carole Gammer présentera des recherches récentes sur la thérapie de couple. Elle proposera des outils pour aider le couple à développer ses liens d’attachement, ses capacités de régulation émotionnelle et de mentalisation issues de la recherche et théorie d’attachement.

Les crises entre ados et parents ne sont pas nécessairement plus fréquentes, mais elles posent des difficultés qui les rendent particulièrement explosives et dangereuses. La nouvelle autorité, basée sur les principes de la résistance non-violente, permet de les gérer avec beaucoup moins d’escalade, de risques et de dégâts. Une attitude parentale, basée sur la présence, la maîtrise de soi, et les réseaux de soutien, permet aux parents de recouvrer leur voix et leur place dans la famille, de diminuer les comportements à risque et d’arriver à un savoir légitime sur les activités de l’ado, tout en diminuant les conflits et en accordant à l’ado un degré d’autonomie qui correspond à ses besoins de sécurité.

La crise sanitaire et les confinements successifs qui ont obligé les familles à se refermer sur elles-mêmes ont mis les liens familiaux en tension révélant, quasi expérimentalement, ce dont les enfants en général et les adolescents en particulier ont besoin.

Le confinement familial s’est avéré être un oxymore tant « sortir » est une nécessité pour l’adolescent.

Qu’est-ce que ce mouvement centrifuge que la puberté rend nécessaire met en crise si ce n’est l’impossibilité pour les parents autant que pour l’adolescent de faire perdurer un mode de relation qui, salutaire pour l’enfant, devient nocif pour l’adolescent ? De sorte qu’à la crise de l’adolescent quittant l’enfance pour entrer dans l’âge adulte fait écho celle des parents renvoyés à leur qualité d’adulte au moment où l’enfant les quitte.

Nous tenterons, à travers cette intervention, d’élaborer quelques points de repère en écho aux questions qui traversent nos pratiques :

• Comment aider l’adolescent quand il va mal ?
• Comment accompagner les parents désemparés ?
• Comment faire de la traversée de la crise une opportunité ?

Une séparation représente un moment de crise majeure, pour les partenaires, pour les enfants, pour l’entourage. La doctoresse K. Auberjonois, psychiatre et thérapeute de famille, abordera différentes possibilités d’accompagnement d’une famille aux prises d’une crise de séparation.

Quelques-unes des questions qui seront abordées :

• Pourquoi les séparations sont-elles si difficiles ? La souffrance est-elle à banaliser ou à dramatiser ?
•  Quels sont les enjeux (besoins) pour chacun des membres d’une famille pendant cette crise ? La fratrie a-t-elle un rôle particulier à jouer ?
• Faut-il faire appel à un accompagnement professionnel ?
• Le monde juridique – le monde thérapeutique : un couple impossible ?
• Comment renaître après la crise ?
• Peut-elle être un facteur de croissance ?
• Les résonances personnelles des soignants face aux séparations, comment en tenir compte ?

La métaphore de l’orage ou de la tempête reflète en partie le vécu des usagers et des familles que nous accompagnons pour un temps dans notre travail d’équipe mobile de crise, en tentant de rester calmes. Les balises que nous avons posées, les règles d’intervention, notre « cadre » nous y aident autant que la concertation quotidienne. Elles sont définies en partie par la finalité du travail et le paysage de soins dans lesquels nous nous inscrivons, mais chaque situation rencontrée nous invite à les adapter, à nous interroger sur ses pertinences, à discuter ensemble nos priorités, nos accords et désaccords.

Au cours de ces derniers mois, nous avons traversé une tempête institutionnelle, au sens large puisqu’elle a atteint tous les niveaux de l’État autant que les personnes, soignants, usagers et familles. Comment rester calmes et tenir le cap quand nous sommes pris dans des injonctions contradictoires, que le paysage de nos réseaux se disloque, quand l’institution elle-même n’y voit plus clair ?

Comment re-poser des balises quand ce sont nos outils-mêmes, le travail sur le lieu de vie et à plusieurs, qui deviennent un risque ?

Le terme d’anomie, compris aujourd’hui dans sa définition courante de « disparition des normes, état de chaos », a été créé en 1885 par le philosophe Jean-Marie Guyau dans son ouvrage « Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction ». Il s’apparente étrangement à la définition de la crise puisqu’il considère cet état comme fondateur de créativité et producteur d’un nouvel équilibre.

Durkheim reprendra ce concept dans « De la division du travail social » en la pointant comme une insuffisance de contacts entre les rôles sociaux. Il le développera comme une des causes du suicide, l’individu ne trouvant plus les marques nécessaires pour baliser ses désirs. Il y voit autant les répercussions au sein d’une famille traversant une crise que les effets des grands désastres ou des bouleversements sociaux et scientifiques.

C’est ce fil que nous nous proposons de suivre dans notre exposé qui se fera en équipe, car chacun y occupe toute sa place dans la tempête où nous avons tenté de « tenir la main de nos usagers dans l’orage », souvent plus longtemps que prévu. Nous explorerons les résonances entre les situations rencontrées où les règles sont bouleversées – personnes âgées perdues par l’absence d’une aide-ménagère, parents maltraités, enfants seuls face au naufrage d’un parent, jeunes adultes happés par des pulsions de mort, familles mises à mal par des reports de soins indispensables – mais aussi, pour nous, nécessité de reconstruire des règles consensuelles, travail renforcé avec découverte de nouveaux partenaires du réseau, reprise difficile d’une pensée clinique, redécouverte des fondamentaux, de la thérapie institutionnelle…

Travailler avec des familles en temps de pandémie, c’est aussi inventer ensemble de nouvelles règles communes qui font sens et créent une solidarité, passagère mais marquante.

Crisis, en grec, veut dire « juger ». La crise est un moment qui requiert particulièrement de nous du jugement. Or, c’est un terme peu à la mode, peut-être encore plus particulièrement dans le monde de la relation d’aide.

Appuyée sur un travail de terrain auprès des professionnels de l’enfance, cette intervention vise à retrouver une prise sur la situation par un travail sur notre jugement.

« À quoi assistons-nous aujourd’hui ? » « Que sommes-nous en train de devenir ? ». G. Deleuze invitait à poser ces questions pour inventer des concepts et pour penser. À l’aune de la crise de la Covid, il faut reconnaître que ces questions produisent un malaise. Nombreux sont ceux qui ressentent cette incapacité à penser ce qui est en train de se passer et encore davantage lorsqu’il s’agit d’imaginer nos devenirs proches. La « crise de la compréhension du monde » (Revault d’Allonnes, 2012) s’est vérifiée dans à peu près tous les domaines. Le savoir médical s’est montré changeant et incertain. Au-delà du devenir scientifique du virus et de ses mutations, il nous est difficile de cerner avec précision ce que nous avons appris du changement qualitatif de nos vies durant ces longs mois d’enfermements ou de restrictions drastiques.

Sans doute, cette expérience collective de la diminution radicale de la vie a instruit et a porté à notre conscience ce qui compte vraiment pour nous, ce qui nous est important, ou encore les attachements nécessaires à la vie. Devant les bouleversements ou les perturbations de notre quotidien, cette crise collective a forcé notre conscience à s’interroger sur nos orientations du vivre en particulier à partir de ce qui nous manque. En somme, quelque chose de nos états subjectifs a changé et c’est précisément ce changement d’état qu’il convient d’interroger. Ils nous disent ce à quoi nous tenons et nous appellent à réfléchir les façons dont nous avons habité et affronté notre propre diminution.

Romain Huët se propose d’interroger le sens politique d’un épuisement généralisé de la société. L’idée défendue est que l’épuisement collectif n’aboutit pas nécessairement au désespoir.

Il signale aussi un désir impatient sinon un impératif : celui de vivre autrement.

Pour reprendre les mots de G. Didi-Huberman, c’est ainsi que le « geste de désespoir » est susceptible de se renverser en un « geste de désirs » (Didi-Huberman 2019). L’épuisé est une figure contestataire discrète dans la mesure où il est de ceux qui n’adhèrent plus à son actualité. Ils sont surtout de ceux qui attendent ; qui espèrent de la densité existentielle.

C’est dans la mesure ou  ils ont conscience de leur souffrance, qu’ils sont de ceux qui attendent. Ce sont donc leur attente qu’il faut interroger et non leur é tat de malheureux et de désespérés. Cette inclination du regard sur la puissance d’altération de l’épuisé nous invitera à questionner et à ouvrir à une critique sur la façon dont la société traite ce problème notamment à travers de nombreux dispositifs d’écoute et de cellules de paroles.

Évitement, incompréhension, enfermement, obéissance, peurs, ... Du collectif à l’individuel, quand l’ordinaire des vies bascule, tout ce qui fait habituellement le cadre despratiques plie ou cède sous le poids d’un réel aussi abrupt qu’impérieux. La pratique clinique est toujours située, elle vit et pense avec son époque, au plus près des corps et des esprits, en prise avec les contextes politiques et sociaux, sans céder sur le temps nécessaire pour élaborer ses actions. Depuis longtemps elle résiste aux exigences de rentabilité, aux logiques procédurales, à la réification du monde qui est toujours une déshumanisation. Et si cette pandémie n’était pas que la propagation mondiale d’un virus mais aussi une occasion, précieuse, à ne pas manquer, de revenir aux fondements de la clinique ?